Afrique: Le bilan mitigé des Commissions électorales, une indépendance qui dépend…en Côte d’Ivoire, le fond du projet de loi
Chers Ivoiriens et citoyens d’Afrique et du monde entier, souvenez-vous que le 06 août dernier(2018), le président de la République de Côte d’Ivoire, monsieur Alassane Ouattara, s’adressant à la Nation, a dit qu’il est bon -maintenant ? (NDLR)- de reformer la Commission Electorale Indépendante selon l’avis de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples.
Avec un peu de recul, l’on devrait pouvoir dire qu’en 2015, en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso, au Niger, au Nigéria, en Guinée, au Togo, au Soudan et au Burundi, nous avons enregistré des élections présidentielles. Tous ces pays ont un dénominateur commun, c’est l’Afrique.
Justement, dans la recherche d’une certaine alternance au pouvoir, il convient de noter la difficulté qui survient régulièrement dans un dialogue constructif autour de l’organisation des élections. C’est cela qui engendre des risques de majeures crises postélectorales. Ce qui nous invite à nous interroger sur les capacités réelles des Commissions électorales existantes.
Vous avez dit alternance ?
Dans l’ensemble des pays africains concernés et dans l’organisation des élections, l’on a remarqué que les « commissions électorales indépendantes» avaient remplacé le ministère de l’Intérieur dans l’objectif commun de garantir des élections dites « équitables, libres et transparentes ».
Loin de nous d’avoir la prétention d’en faire un bilan exhaustif ; seulement nous nous posons quelques questions de la manière qui est la suivante : Cette promesse est-elle tenable au regard des différentes opérations électorales déjà observées sur le continent ? Et franchement, que faut-il donc faire pour améliorer les choses?
Avez-vous dit neutralité et autonomie ?
Nous invitons les uns et les autres à faire un constat flagrant selon lequel les commissions électorales indépendantes n’ont pas tenu leur promesse de neutralité et d’autonomie.
D’entrée de jeu, il faudrait signaler que ces commissions électorales ne sont indépendantes que de nom. Et c’est vrai !
Dans les faits, les problèmes de neutralité qui sont rencontrés vont du cadre institutionnel au cadre purement juridique. Sur le continent africain, on note un véritable conflit de modèles dans la désignation des membres allant de
la politisation (désignation arbitraire des personnalités politiques) comme
en Côte d’Ivoire ou en Guinée à la désignation des personnalités
« apolitiques » dont la« neutralité » est supposée reconnue de tous comme au Sénégal et dans les pays anglo-saxons (Libéria, Sierra Leone, Gambie, etc.). Si non comment expliquerez-vous que dans la forme le premier responsable de la CEI (Commission Electorale Ivoirienne) se retrouve dans le même hôtel résidence que le finalement vainqueur des élections problématiques ?
Le problème est que le décret présidentiel qui nomme ces membres n’est jamais neutre et que le pouvoir en place garde toujours la mainmise sur l’institution.
Dans certains pays comme le Cameroun, Elecam est un ministère de l’intérieur bis où l’on notela présence des caciquesdu parti au pouvoir et l’absence de l’op
position.
Pire, dans l’essentiel des cas, le budget électoral est soumis au Gouvernement et
les résultats définitifs sont proclamés par une cour constitutionnelle dont
la proximité avec le candidat sortant est avérée. Cela dit, il existe
des exceptions et l’exemple typique nous vient du Ghana où par une loi, la loi N°451 du 06 juillet 1993 portant création de « The Electoral Commission Act », le Parlement ghanéen avait consacré une Commission pérenne dont le
Président et ses vice-présidents sont inamovibles à moins de commettre des
fautes graves dans des conditions définies par la loi.
Aussi, les dépenses électorales sont inscrites au budget général de l’Etat, ce qui
permet d’éviter des débats de dernières minutes et les risques liés à la « certification des élections » par des bailleurs de fonds étrangers comme en
Côte d’Ivoire en 2010-2011, un autre aspect de la crise postélectorale.
Aussi, en Afrique de l’Ouest par exemple, un Réseau des Commissions électorales de la CEDEAO (RESAO) avait été créé en Février 2008 dans le but de faciliter le partage d’expériences de travailler à l’harmonisation des normes
électorales.
Ces commissions étaient censées apporter une solution aux problèmes de libre
participation et de libre compétition. Petite question : quel est le bilan qu’on en retient ?
Malgré les efforts d’amélioration constante, on observe qu’elles n’ont pas réussi à trouver une formule de contrôle des habitants pour emmener l’essentiel de la population en âge de voter à participer au processus électoral. N’appelez pas ça échec ! Le problème noté est qu’elles ne maîtrisent pas, dans la quasitotalité des cas, toutes les opérations électorales. Elles s’occupent de la préparation et de la tenue du scrutin, et ne couvrent pas, à l’exception de la commission électorale sierra léonaise, des domaines tels que le découpage du territoire en matière électorale.
Or, c’est lors du découpage des circonscriptions électorales que l’on amenuise
les chances de l’opposition dans leurs fiefs en causant un coup fatal à la libre
compétition. Citons en exemple la Guinée forestière dans l’un des fiefs de l’UFR de Sidya Touré, le nombre de votants dans certains bureaux de vote aux dernières législatives du28 septembre 2013 était de deux électeurs seule-ment, ce qui a été préjudiciable au score final de ce parti aux élections proportionnelles.
Tout cela fait dire que l’institution des Commissions électorales indépendantes
n’a pas suffi à recréer la sérénité électorale.
Commissions électorales indépendantes et leur promesse de transparence
Les mêmes problèmes de trucage des élections persistent pratiquement partout. On enregistre toujours des votes multiples, le bourrage des urnes, la falsification des procès-verbaux, la manipulation du fichier électoral et du système de centralisation des votes, etc.
Par exemple, le processus irrégulier de passation de marché aux
Entreprises SAGEM en Côte d’Ivoire, Waymark et Sabary en Guinée
dans l’opération technique des élections, a été décrié par l’opposition et la société civile.
De même, le processus de recrutement des cadres régionaux et locaux des dites Commissions électorales indépendantes n’est pas toujours
transparent, ce qui permet aux pouvoirs politiques de positionner
leurs relais locaux. Par exemple, lors des élections présidentielles du 9 octobre 2011 au Cameroun, la candidate du CPP, Edith Kahbang Walla, n’a pas vu ses voix comptabilisées au décompte final dans le premier bureau de vote de Genève. Cela veut dire que les démembrements de la Commission électorale indépendante n’ont pas permis aux candidats de l’opposition de suppléer leur manque de scrutateurs dans tous les bureaux de vote. A cela s’ajoutent les violences postélectorales et les blocages du processus politique qui constituent des manquements en matière de sécurisation et d’éducation civique des citoyens pendant l’expression des suffrages.
Au final, on peut dire sans risque de nous tromper que les Commissions électorales indépendantes affichent un bilan mitigé en Afrique. Comme s’il s’agit d’une indépendance qui dépend de…
L’opposition ivoirienne se plaint
Akoto Olivier, le porte-parole des groupes parlementaires de l’opposition à l’assemblée nationale de Côte d’Ivoire (Pdci-rda-vox populi-rassemblement) relatif au projet de loi portant recomposition de la commission électorale indépendante, a lu une déclaration.
Ecoutons-le :
« Mesdames et Messieurs les journalistes,
L’Assemblée nationale a été saisie d’un projet de loi portant recomposition de la Commission Electorale indépendante (CEI).
Ce texte qui a été mis à la disposition des Députés le vendredi 12 juillet 2019 a été programmé pour être examiné par la Commission des Affaires Générales et Institutionnels, ce jour mardi 16 juillet 2019 à 14h00, avant d’être reporté au jeudi 18 juillet prochain à 10h00.
La présentation de ce projet de loi à l’Assemblée nationale appelle de la part des Groupes parlementaires PDCI-RDA, Rassemblement et Vox Populi, plusieurs observations qu’il nous faut partager avec la Communauté nationale et internationale au travers des médias que vous êtes.
La première observation porte sur le contexte qui a prévalu à l’élaboration de ce projet.
Il vous souviendra qu’à la suite de nombreuses récriminations portées contre la CEI par la classe politique ivoirienne et par la société civile depuis la crise post-électorale de 2010, l’ONG Action pour la Protection des Droits de l’Homme (APDH) avait assigné l’Etat de Côte d’Ivoire devant la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, le 12 juillet 2014. La requête de cette ONG avait pour objet d’une part de faire constater que la loi N°2014-335 du 18 juin 2014 sur la CEI n’était pas conforme aux instruments internationaux des Droits de l’Homme ratifiés par la Côte d’Ivoire et d’autre part de condamner l’Etat de Côte d’Ivoire à amender ce texte au regard de ses engagements internationaux.
Faisant droit à cette requête, la Cour Africaine des Droits de l’Homme a jugé le 18 novembre 2016, qu’en instituant une Commission électorale non indépendante et non impartiale, déséquilibrée au profit du pouvoir, la loi de 2014 portant organisation, attributions et fonctionnement de la Commission Electorale Indépendante (CEI) consacre une « violation par l’Etat de Côte d’Ivoire de son engagement de créer un organe électoral indépendant et impartial ainsi que son engagement de protéger le droit à l’égalité devant la loi et à la protection égale par la loi, prévus notamment par les articles 3 et 13(1) et (2) de la charte des droits de l’homme, les articles 10(3) et 17(1) de la charte africaine sur la Démocratie, l’article 3 du protocole de la CEDEAO sur la Démocratie, l’article 1er de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et l’article 26 du pacte international relatif aux droits civils et politiques.»
En conséquence, la Cour a ordonné à l’Etat de Côte d’Ivoire de modifier cette loi pour la rendre conforme aux instruments internationaux auxquels l’Etat de Côte d’Ivoire est partie.
Mais au lieu d’exécuter cette décision dont les termes sont clairs et précis, le Gouvernement a usé de manœuvres dilatoires pour refuser d’appliquer cette injonction de la Cour. C’est finalement sous la pression conjuguée des partis d’opposition, de la société civile et de la Communauté internationale que le Gouvernement va accepter d’engager des discussions avec l’opposition et la société civile ivoiriennes, le 21 janvier 2019. Mais ces discussions vont très vite achopper sur les modifications à opérer.
En effet, alors que les acteurs politiques et la société civile s’attendaient à une reforme de tout le système électoral en Côte d’ivoire, y compris la CEI, le Gouvernement ne leur proposera qu’une recomposition de cette Commission.
C’est dans ces conditions, qu’après plusieurs rencontres tenues sans des partis et groupements Politiques de l’Opposition ivoirienne (PDCI-RDA, EDS, LIDER) que le Gouvernement a fait connaître ses propositions sur la recomposition de la CEI. Ce sont ces propositions unilatérales du Gouvernement dénoncées et décriées par des Partis Politiques et Organisations de la Société Civile qui ont daigné participer aux négociations qui font l’objet du projet de loi portant recomposition de la CEI adopté en Conseil des Ministres le mercredi 03 juillet 2019 et déposé à l’Assemblée nationale le vendredi 12 juillet 2019 ».
Seconde observation : le fond du projet de loi
Le projet de loi propose le retrait des représentants de l’Assemblée nationale, du Ministère de l’Economie et des Finances et des confessions religieuses. Ensuite, il assimile le Conseil National des Droits de l’Homme, en organisation de la Société Civile.
Par ailleurs, il maintient les représentants du Président de la République et du Ministre en charge de l’Administration du Territoire avec voix délibérative tout en leur interdisant de se porter candidat au poste de Président de la Commission.
Pour les Groupes parlementaires de l’Opposition, cette proposition du Gouvernement ne fait que renforcer le déséquilibre de la CEI au profit du pouvoir.
En effet, le Conseil National des Droits de l’Homme est une autorité administrative qui ne saurait en aucun cas être assimilé à une organisation de la société civile. Son représentant à la CEI ne pourra qu’être subordonné à l’Administration publique, donc au Pouvoir.
En outre, le représentant personnel du Président de la République, dont la présence pouvait être tolérée sous l’emprise de la Constitution du 1er Aout 2000 qui interdisait au Président de la République de diriger un parti politique, ne peut plus être auréolé d’une quelconque neutralité. La Constitution du 08 novembre 2016 ayant aboli cette interdiction, l’actuel Président de la République est le président du RHDP, le parti au pouvoir. Son représentant est donc le représentant du Pouvoir.
Enfin, s’agissant du représentant personnel du Ministre chargé de l’Administration du territoire, sa présence comme celle des autres membres du Gouvernement ne se justifie pas. La CEI bénéficie de l’assistance de tout le Gouvernement en ce qui concerne le personnel administratif, technique et financier dont l’appui est nécessaire au bon fonctionnement de ses services (voir article 37 de la Loi relative à la CEI). Cette présence ne fait qu’accroitre le nombre de membres du parti au pouvoir.
Au total, tant au niveau central que local, la commission Electorale est déséquilibrée au profit du pouvoir et contrarie aux reproches de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples.
La dernière observation, et non des moindres, concerne la procédure d’inscription de ce projet de loi à l’ordre du jour des travaux de l’Assemblée nationale.
En effet, au terme de l’Article 21 de son Règlement, l’ordre du jour des travaux de l’Assemblée nationale est établi par le Président de l’Assemblée nationale après accord de la Conférence des Présidents. Cet ordre du jour est adopté par l’Assemblée nationale au cours d’une séance plénière.
Du vendredi 12 juillet 2019, date de la mise à la disposition du projet de loi aux Députés et la convocation le même jour, d’une réunion de la Commission des Affaires Générales et Institutionnelles à l’Assemblée nationale pour l’examen de ce texte le mardi 16 juillet 2019 à 14h00, aucune réunion de la Conférence des Présidents ne s’est tenue encore moins une séance plénière.
Il s’ensuit que l’inscription de ce projet de loi à l’ordre du jour des travaux de l’Assemblée nationale doit être perçue comme irrégulière au regard des dispositions du Règlement précitées.
Au regard de ce qui précède, les Groupes Parlementaires de l’opposition :
• Dénoncent la présentation de ce projet de loi qui ne contient que les propositions unilatérales du Gouvernement, nonobstant la disponibilité des partis de l’opposition à poursuivre le dialogue en vue d’aboutir à l’adoption d’un cadre législatif propice à l’organisation d’élections justes, transparentes et inclusives, gage de paix et de stabilité ;
• Exhortent le Gouvernement à retirer ce projet de loi et à reprendre les discussions avec toutes les parties prenantes afin d’aboutir à la mise en place d’une Commission Electorale impartiale et équilibrée conforme à la décision de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples du 18 novembre 2016 ;
• S’engagent à mettre en œuvre tous les moyens démocratiques et légaux, nationaux et internationaux, pour faire échec à cette tentative de passage en force du Gouvernement.
Une déclaration faite à Abidjan, le 16 juillet 2019 et signée des petits doigts des Groupes parlementaires : PDCI-RDA, RASSEMBLEMENT et VOX POPULI.
Autre regard analytique
Les commissions électorales nationales remplissent initialement deux missions: la première est la légitimation du processus électoral, seule voie reconnue d’accès au pouvoir dans un régime démocratique. La seconde est le corollaire de la première; elle consiste à assurer les conditions morales et matérielles de cette légitimation, notamment en assurant de manière efficace la gestion pratique du processus électoral.
L’importance accordée aux commissions électorales nationales montre d’une part l’institutionnalisation du choix des dirigeants via des élections légitimes, assurées d’être libres et justes; d’autre part que les élections ne peuvent être acceptées et reconnues que si l’ensemble des parties en présence estime qu’elles ont été organisées en toute transparence et en toute équité à toutes les étapes: conditions de campagne, modalités le jour du scrutin, dépouillement et promulgation des résultats. Sinon…
Est-il nécessaire de rappeler que la réforme de la CEI ne se réduit pas à la présence de quelques membres de l’opposition. Il s’agit plutôt de sa recomposition entière en tenant compte des exigences d’indépendance et d’impartialité de cette Institution. Et depuis quelques temps, les deux frères que sont Alassane Ouattara, le président de la république de Côte d’Ivoire et Henri Konan Bédié, le premier responsable du PDCI, n’ont pas les mêmes avis sur tout. Sur ce point précis, invitation est faite au PDCI-RDA de Bédié à rejoindre l’opposition dans sa ferme volonté de ne pas s’associer à cette presque mascarade.
Il faut aussi être convaincu que le temps de la décrispation politique et sociale n’est pas loin. C’est pourquoi, le gouvernement qui tient en main les clés de la réconciliation nationale doit aller au dialogue franc avec toutes les forces vives de la nation.
Les Ivoiriens sentent la nécessité de travailler à la consolidation de la paix et du développement de notre nation sans esprit de revanche et de division comme nous l’a enseigné le père fondateur – Félix Houphouët-Boigny- de qui nous nous réclamons tous. Bientôt une autre fête d’indépendance, une autre parole sera libérée du cœur et des lèvres.
En ultime conclusion, il convient comme les exemples anglo-saxons ci-dessus le montrent, de mettre beaucoup plus d’emphase sur la transparence,
l’indépendance et l’efficacité du processus que sur la mise sur pied d’une
énième institution bureaucratique et « budgétivore ». L’Eléphant crierait : Puisqu’il y en a, « par ici la monnaie » !
Il n’est pas mauvais de retenir que l’indépendance et l’impartialité d’une Commission Électorale Indépendante sont donc loin de reposer exclusivement sur l’équilibre numérique de sa composition et sur le caractère délibératif-pluraliste et collégial- de ses décisions.
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