Violation de la constitution: Ces chutes de présidents qui interpellent Alassane Ouattara
Dans plusieurs pays africains, les présidents voulant fuir les juridictions internationales après leurs mandats, et ce à causes de leurs crimes économiques ou contre l’humanité, préfèrent s’accrocher au pouvoir et continuer de bénéficier d’une immunité. Le meilleur moyen pour y arriver est la modification de la constitution et le truquage des élections. Dans certains pays, cette violation de la constitution provoque des troubles sociaux qui fragilisent les fondements de l’Etat. Dans d’autres, elle provoque la chute du président et de toute sa clique comme ce fut le cas au Burkina-Faso et au Mali. En Côte d’Ivoire, entre une sortie honorable et celle par la fenêtre, le président préfère apparemment la honte ; c’est-à-dire une sortie par la fenêtre ou par-dessus la clôture. Car après deux mandats de cinq ans, il sollicite un impossible troisième mandat au peuple, sachant que la constitution ne le lui permet pas. Il n’est pas encore tard pour lui pour mieux faire. Il lui suffit de demander le report des élections et de choisir un autre candidat du RHDP pour les élections, gage du respect de la constitution ; de permettre un audit du listing électoral, de mettre sur pied une vraie Commission Electorale Indépendante (CEI), de choisir des magistrats indépendants pour un nouveau et vrai Conseil Constitutionnel, de libérer tous les prisonniers politiques et de permettre aux exilés de retourner dans leur pays pour prendre part au vote. S’il s’entête, la fin du film pourrait être pareille à celle de certains de ses amis. Revoyons quelques cas.
CHUTE DE BLAISE COMPAORE
Dès le début de l’année 2014, le régime Compaoré du Burkina-Faso fait face à la pression de la rue : syndicats et étudiants manifestent presque chaque mois pour exprimer leur insatisfaction. Le 30 octobre 2014, Blaise Compaoré fait face à un soulèvement populaire d’une grande ampleur, à Ouagadoudou comme dans d’autres villes. Il souhaite se présenter pour un cinquième mandat consécutif en 2015. Pour ce faire, l’article 37 de la loi fondamentale – limitant le nombre de mandats présidentiels- doit être modifié. La tension monte alors que l’assemblée nationale s’apprête à voter cette modification. Des manifestants se pressent près du Parlement et différents bâtiments publics, les forces de sécurité réagissent par des coups de matraques, des tirs et l’emploi de gaz lacrymogène. Cette répression fait au moins 30 morts. Près de 1 500 personnes franchissent les lignes de police et mettent le feu au Parlement. Ils prennent le contrôle de la télévision peu après. Sous la pression de la rue et des militaires, Blaise Compaoré dissout le gouvernement et annonce qu’il renonce à modifier la loi fondamentale. Le lendemain, il quitte le pouvoir car les militaires ne le soutiennent plus. Le chef d’état-major des armées, Honoré Traoré, annonce la création d’un « organe de transition », chargé des pouvoirs exécutif et législatif, dont l’objectif est un retour à l’ordre constitutionnel « dans un délai de douze mois ». Exfiltré par les Français après avoir prévenu les partis d’opposition qui n’étaient pas défavorables à l’opération, Blaise Compaoré trouve refuge, avec le soutien du président français François Hollande, en Côte d’Ivoire le 31 octobre, puis au Maroc le 20 novembre. Après quelques semaines passées au Maroc, Blaise Compaoré retourne en Côte d’Ivoire où il acquiert la nationalité ivoirienne. Le 1er octobre 2016, près de deux ans après sa chute, la justice burkinabé abandonne les charges liées à la tentative d’amender la Constitution, mais maintient celles liées à la répression des manifestations.
DEMISSION DE ZUMA
En 2016, la Cour constitutionnelle sud-africaine a reconnu le président Jacob Zuma coupable de violation de la Constitution, dans l’affaire de sa résidence privée, une décision saluée par l’opposition qui a immédiatement lancé une procédure de destitution. L’affaire Nkandla, du nom de la résidence du président sud-africain rénovée aux frais du contribuable, a empoisonné pendant quatre ans Jacob Zuma. Dans l’hémicycle, les députés de l’opposition ont interrompu régulièrement le chef de l’État en lui lançant “Rends l’argent”. L’État a en effet, payé quelque 20 millions d’euros (au cours de l’époque) officiellement pour améliorer la sécurité de ce domaine situé en pays zoulou (est). Les travaux incluaient notamment la construction d’une piscine, d’un poulailler, d’un enclos pour le bétail, d’un amphithéâtre et d’un centre d’accueil des visiteurs. La Cour constitutionnelle, la plus haute instance juridique d’Afrique du Sud avait donné 45 jours au président pour qu’il rembourse “la somme à déterminer par le Trésor public”. Cette somme doit représenter “le coût raisonnable des travaux non liés à la sécurité” réalisés à Nkandla, c’est-à-dire “uniquement le centre pour visiteurs, l’enclos pour bétail, le poulailler et la piscine”, qui ont été payés par le contribuable, a expliqué le président de la Cour constitutionnelle, Mogoeng Mogoeng. Jacob Zuma n’a “pas fait respecter, ni défendu, ni suivi la Constitution”, a-t-il encore insisté, en livrant pendant plus d’une heure son arrêt retransmis en direct à la télévision sud-africaine. Trempé dans plusieurs scandales, il quitte la présidence de l’ANC fin 2017. Impopulaire et menacé de destitution par son parti, il démissionne de la présidence de la République en 2018.
PLAINTE CONTRE FELIX TSHISEKEDI POUR VIOLATION DE LA CONSTITUTION
Quelques mois seulement après son élection à la tête de la République Démocratique du Congo (RDC), une plainte contre le président Félix Tshisekedi, pour violation de Constitution, a été déposée en 2019 à Kinshasa au bureau du Procureur près la Cour constitutionnelle. L’auteur, Pius N’Ghoy, se présentant comme un journaliste indépendant, a accusé le nouveau président congolais d’avoir violé la Constitution en suspendant l’installation du Sénat nouvellement élu.”Etant garant de la Constitution et du bon fonctionnement des institutions, le président de la république pris par un état d’âme de ses militants, viole intentionnellement la Constitution par la suspension de l’installation du Sénat, en plus de la suspension de l’élection des gouverneurs et vice-gouverneurs ce, à cause de la barbarie des membres de son parti, l’UDPS (Union pour la démocratie et le progrès social),” a expliqué le plaignant. Les décisions ont de Tshisekedi ont en effet, provoqué les émeutes des partisans de l’UDPS qui ont protesté, contre la large majorité engrangée par le FCC (Front commun pour le Congo) coalition qui est sous l’autorité du l’ancien président Joseph Kabila.
Les partisans de l’UDPS dénoncent ce qu’ils disent être une vaste corruption. Le FCC a, à l’issue de ces élections, raflé 91 sièges sur les 100 que doit compter la chambre haute du parlement. L’ancien président lui-même en fera partie à titre de Sénateur à vie, privilège que lui confère la Constitution. L’UDPS n’a, pour sa part, obtenu qu’un seul siège au Sénat et sa coalition électorale, le Cach (Cap pour le changement), trois. Le plaignant dénonce le président Tshisekedi d’avoir cédé à l’émotion du vandalisme et de la barbarie de ses militants du parti UDPS.
IBRAHIM BOUBACAR KEITA PIETINE LA CONSTITUTION ET TOMBE
Au Mali, après plusieurs années de reports du scrutin législatif, et malgré la pandémie de Covid-19 qui frappe le pays, l’enlèvement du chef de file du principal parti d’opposition Soumaïla Cissé et de son équipe de campagne ainsi que de plusieurs agents électoraux et observateurs par un groupe djihadiste, et les menaces de représailles faites par des groupes terroristes envers les électeurs qui se rendaient aux urnes, Ibrahim Boubacar Keïta décide, contre l’avis de son opposition, de maintenir les élections législatives à la date 19 avril 2020.
Alors les 5 et 19 juin 2020, à l’appel de l’imam Mahmoud Dicko, des dizaines de milliers de manifestants sortent dans les rues pour réclamer sa démission. Cinq membres de la Cour constitutionnelle démissionnent. Le 10 juillet, lors de la troisième journée de mobilisation, des heurts se produisent, provoquant plusieurs morts ; des dirigeants de la coalition de l’opposition sont arrêtés puis relâchés. Le président décide alors de dissoudre la Cour constitutionnelle. La composition de la Cour constitutionnelle est intégralement renouvelée le 7 août au mépris de l’opposition. Des manifestations ont aussi lieu chaque vendredi pour réclamer la démission du chef de l’État ; elles s’ajoutent à une grève des enseignants, un appauvrissement du pays, à de sanglants conflits ethniques entre Peuls et Dogons et aux difficultés rencontrés par le pouvoir exécutif pour assurer son autorité sur l’ensemble du territoire. Alors que le CEDEAO propose la démission de 31 députés dont l’élection est litigieuse, dont le président de l’Assemblée nationale, Moussa Timbiné, le président Keïta refuse de dissoudre l’Assemblée nationale. Alors le 18 août 2020, vers 16 h 30, Ibrahim Boubacar Keïta et son Premier ministre, Boubou Cissé, sont arrêtés par une garnison de militaires en révolte. Les deux dirigeants sont conduits par les militaires révoltés dans des véhicules blindés à Kati, où se trouve le camp militaire Soundiata-Keïta, à 15 km de Bamako ; c’est également depuis ce camp qu’avait été lancé le coup d’État de 2012. Le régime cède le fauteuil à une transition.
ALPHA CONDE JOUE AVEC LE FEU
Le président Guinéen est réélu pour un second mandat lors de l’élection présidentielle de 2015, avec 57,9 % des voix au premier tour. En septembre 2019, à New York, il suggère l’organisation d’un référendum pour modifier la Constitution guinéenne et lui permettre ainsi de briguer un troisième mandat. En réaction, un important mouvement de contestation, le Mouvement FNDC, fédérant les principaux partis d’opposition (l’UFDG de Cellou Dalein Diallo et l’UFR de Sidya Touré) ainsi que les plus importantes organisations de la société civile, se dresse contre l’initiative présidentielle. Il fait reporter les élections législatives du 16 février 2020 au 1er mars suivant, et annonce la tenue simultanée d’un référendum constitutionnel. L’opposition guinéenne s’oppose à la tenue d’un référendum sur la réforme de la Constitution.
Le 31 août 2020, son parti annonce qu’Alpha Condé sera candidat à un troisième mandat lors du scrutin prévu le 18 octobre 2020. Depuis des mois, cette perspective suscite une vague de protestation qui a fait des dizaines de morts. Alpha condé se présente alors comme le candidat « des femmes et des jeunes ». L’on attend de voir.
DEFIANCE DU PEUPLE PAR ALASSANE OUATTARA
En Côte d’Ivoire, après deux mandats, Alassane Ouattara refuse de partir alors qu’il avait promis qu’il ne se représenterait plus pour un troisième mandat. Car la constitution ne lui permettait plus cela. Mais à la surprise générale, il a annoncé sa candidature le 6 août, lors de sa prise de parole à la nation avant les festivités des soixante ans de l’indépendance. Le 22 août 2020, le RHDP l’a même investi comme candidat à l’élection présidentielle, malgré les manifestations généralisées du peuple ivoirien contre cette forfaiture, les 14 et 15 Août 2020. Jeune Afrique a alors affirmé ceci: « Le destin d’un homme politique peut basculer au moment d’une décision, d’une action ou d’un discours. Alassane Ouattara aurait pu être le premier chef de l’État ivoirien à mettre son pays sur les rails d’une alternance pacifique. Et on aurait pu analyser sereinement le bilan de ses deux mandats successifs, en prélude à l’élection de son successeur. On aurait alors salué sa décision de se retirer, mis en avant les forces et les faiblesses de son action, les acquis légués à une nation en reconstruction après une décennie de crise politico-militaire, les grands chantiers encore à parachever. À la tête de sa fondation pour le climat et la bonne gouvernance, ADO aurait parcouru les conférences internationales, joué le rôle de sage à l’occasion de médiations continentales. Mais sa décision de briguer un troisième mandat, intervenue après le décès brutal d’Amadou Gon Coulibaly a tout changé.» Il est même allé plus loin en excluant Gbagbo Laurent du FPI et Soro Guillaume de GPS de la liste électorale ; en apprêtant la machine de la fraude qui lui donnera vainqueur au 1er tour d’une élection présidentielle dans un pays où le poids des partis politiques de l’opposition tels que le PDCI-RDA (parti majoritaire actuellement) , ne peut pas permettre à un candidat fut-il célèbre, de l’emporter aussi facilement.
Un second tour s’impose depuis des décennies pour être élu ou pas, en fonction des jeux d’alliances. Malgré les appels de la communauté internationale, le retrait des opposants de la course, l’appel de l’opposition à la désobéissance, Alassane Ouattara rêve d’un autre mandat. En témoigne ses visites d’Etat transformées en précampagnes électorales dans l’Iffou et dans la Marahoué au cours desquelles, il n’a pu s’empêcher de rabaisser les opposants par des injures et des mises en garde. Vu le sort de Blaise Compaoré au Burkina, Ibrahim Boubacar Keita au Mali et autres, qui ont chuté parce qu’ils voulaient violer la constitution, le sieur Ouattara devrait renoncer à cette ambition qui ne fera que créer une grave crise en Côte d’Ivoire. Sur quoi compte-t-il ? Sur l’armée, les milices et mercenaires ? Veut-il tuer tout le peuple ? Si telle est l’ambition, qui va-t-il finalementgouverner ? Certainement, les prochains jours seront décisifs pour la côte d’Ivoire.
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